Mots clés : Khaya anthotheca, Plantation paysanne, Récolte durable d’écorce d’arbre, Acajou, vin de palme, République centrafricaine.
Auteurs : Kpolita Arnot1, Abiya Georges2, Peltier Régis3
1 Assistant à l’Université de Bangui, RCA
2 Chef traditionnel du village de Botéké, RCA
3 Chercheur au Cirad-UR Forêts & Sociétés, Montpellier, France
Je m’appelle Georges Abiya, Chef du village de Botéké, en République centrafricaine. Lorsque j’étais enfant, mon village était situé en pleine forêt, à environ 50 km au Sud-Ouest de Bangui, notre capitale, où commençaient les savanes qui s’étendaient jusqu’au nord du pays. Notre zone a été inclue dans une concession forestière et une route a été construite. Les exploitants n’ont coupé que quelques très gros arbres, bien conformés, en particulier des arbres de la famille des acajous, du bois rouge. Mais la population de la zone a rapidement augmenté. Ma population vit de l’agriculture itinérante sur brûlis et pratique la chasse, la pêche et la récolte de nombreux produits en forêts. Au cours de ma vie, sous l’action des coupes, de l’invasion des champs abandonnés par des espèces végétales très combustibles en saison sèche (en particulier un arbuste : le Chromolaena odorata ou Bokassa grass et une herbacée : Imperata cylindrica ou Ndongo), j’ai vu la forêt reculer et la savane avancer de Bangui jusqu’aux portes de mon village.
Aujourd’hui, beaucoup d’espèces d’arbres ont disparu et je suis devenu un fervent partisan de la replantation et de la Régénération Naturelle Assistée (La RNA dont je vous parlerai une autre fois).
Un jeune Khaya, planté au village depuis un an
En outre, avec les anciens du village, après une dure journée de labeur au soleil et dans la poussière (mon travail d’agriculteur et celui de chef), j’aime palabrer, assis à l’ombre en buvant un bon vin de palme. Or, pour fabriquer ce vin, si je sais parfaitement abattre un vieux palmier à huile et en percer le bourgeon terminal pour recueillir la sève sucrée de l’arbre, il me faut également, pour le faire fermenter, des écorces d’un arbre, l’acajou d’Afrique (Khaya anthotheca) aujourd’hui en voie de disparition. C’est pour cette double raison, besoin d’ombre et d’écorces, que je plante des acajousi dans mon village, depuis plus de quinze ans.
A l’occasion du passage de forestiers de l’université de Bangui et du PDRSO, je leur ai fait une démonstration de gestion durable de la récolte d’écorce sur un tronc d’acajou planté par mes soins à proximité de ma maison. Contrairement aux voleurs d’écorces qui annellent les arbres sauvages ou plantés par les pouvoirs publics, en arrachant le morceau d’écorce le plus grand possible et qui causent leur mort (par annélation et interruption du flot de sève élaborée, disent les chercheurs), comme on peut le voir, entre autres, dans la plantation de l’ISDR à Mbaïki, je ne prélève que des rectangles de 20 cm dans le sens vertical et de 5 cm dans le sens horizontal. Je délimite ce rectangle avec l’extrémité plate et tranchante de la machette, puis le tapote avec le manche, avant de le soulever en faisant levier, puis de le sécher sur le feu et/ou au soleil. Une botte de 3 ou 4 rectangles d’écorce se vend 200 FCFA au village. Le morceau est ensuite découpé en petits bouts (chez nous, à la campagne) ou broyé au moulin (à la ville) avant d’être mis dans du jus de palmier frais qui fermentera pendant environ une semaineii.
1/Sur un Khaya planté depuis une vingtaine d’année, début de la délimitation de la partie d’écorce à prélever par le chef Georges. Les cicatrices rectangulaires correspondent aux morceaux d’écorces ayant été prélevés quelques mois auparavant et s’étant régénérés 2/ le morceau a été soulevé en le tapotant avec le manche puis en faisant levier avec le fer de la machette 3/ le morceau d’écorce est séché sur des braises avant son stockage ou son utilisation.
Les chercheurs disent que l’écorce faciliterait la fermentation, tout en libérant des alcaloïdes euphorisants et en donnant une saveur amère, complémentaire du goût sucré et alcoolisé du jus fermenté. Lorsque mes propres besoins sont satisfaits, je peux vendre le vin de palme aux environs de 800 FCFA la bouteille d’un litre, au village. Au fur et à mesure de mes besoins, je prélève d’autres rectangles dans des parties où l’écorce n’a jamais été prélevée ou dans celles où l’écorce a eu le temps de se reconstituer.
Sans encourager l’écorçage des arbres ni la consommation de boissons alcoolisées, mes « savants » visiteurs se sont réjouis de ce qu’ils ont qualifié « d’innovation paysanne en matière de gestion durable ». En fait, pour moi, cette technique très simple m’a juste permis de planter plusieurs acajous dans mon village (plants que j’ai achetés 750 FCFA l’unité à Bangui) et d’en garder par RNA dans mon champ, sans trop craindre leur extermination. Les chercheurs ont fait des photos et m’ont proposé de retranscrire mes propos pour en tirer le présent témoignage : j’espère qu’ils sauront le diffuser à travers l’Afrique pour que les chers acajous de nos ancêtres ne soient plus massacrés et que nos enfants et petits-enfants puissent, à leur tour, goûter aux délices d’un bon vin de palme.
Remerciements : Les auteurs remercient le projet AFD-FFEM-PDRSO qui a assuré le financement de la mission de décembre 2019 ayant, entre autres, permis de recueillir ce témoignage, ainsi que Emilien Dubiez et Laurent Gazull du Cirad-UR Forêts et Sociétés et Michel Gally de FRMi, qui ont participé à la diffusion de techniques de gestion durable de l’environnement dans cette zone.