Mots clés : Essessang, Acajou d’Afrique, Khaya anthotheca, Ricinodendron heudelotii, Régénération Naturelle Assistée, Agroforêt, jachère enrichie, République Centrafricaine.
Auteurs : Abiya Georges, Kpolita Arnot, Peltier Régis
Je m’appelle Georges ABIYA, je suis chef de village de Botéké en République Centrafricaine.
Grâce à mon expérience, j’ai déjà écrit un article pour la chronique « La main verte » de l’association Silva, sur la récolte durable de l’écorce de Khaya. Cette fois-ci, je voudrais vous parler de ce que les chercheurs qui travaillent avec nous appellent la RNA.
Mais, auparavant, je dois vous expliquer ce qui a changé dans mes champs et qui peut me pousser à écouter ces « donneurs de bons conseils », d’une oreille attentive, même si, comme on dit, « les conseilleurs ne sont pas les payeurs ».
Lorsque j’étais un homme jeune, juste après mon mariage, mon père, l’ancien chef de village, m’a donné une zone de forêt à abattre, puis à cultiver. C’était un dur travail, tout se faisait à la hache et à la machette, la tronçonneuse n’existait pas encore, mais j’avais la force et l’enthousiasme de nourrir ma jeune famille. Une fois les petits arbres et les buissons abattus, j’ai laissé sécher la végétation pendant la saison sèche, puis j’ai rassemblé des feuilles sèches autour des arbres trop gros pour que je puisse les abattre, enfin, un jour de vent, j’y ai mis le feu. Avec mes voisins, nous en avons profité pour rabattre dans nos filets, tout un tas de petits animaux (écureuils, céphalophes, serpents, etc.) dont nous avons fait un festin. Ensuite, dans cette cendre à peine refroidie, ma femme a semé du maïs, des courges, divers légumes et condiments. Trois mois plus tard, nous récoltions les épis de maïs et divers légumes, nous pouvions déjà être indépendants au niveau de la nourriture de base.
Nous avons ensuite bouturé des tiges de manioc, entre les tiges sèches de maïs. Nous avons récolté des tubercules de manioc pendant plus de deux ans, ensuite ce furent des bananes pendant 3 ans puis nous avons abandonné notre parcelle où la brousse à vite repoussé. Heureusement, mon père nous avait donné deux autres parcelles de forêt pour y recommencer des cycles de culture.
Six ans plus tard, c’est une véritable forêt d’arbres dont le diamètre dépassait la largeur de ma main ouverte qui avaient poussés sur la première parcelle que j’avais « ouverte », le sol était redevenu brun et les mauvaises herbes avaient disparu. Je l’ai donc abattue à nouveau. Mais, entre-temps, la route était arrivée de Bangui, si bien que j’ai pu rassembler le bois coupé en meule et produire du charbon de bois qu’un commerçant est venu m’acheter pour le vendre en ville. Nous avons recommencé nos cultures et mon premier fils pouvait déjà aider sa maman à semer, sarcler et récolter. La récolte fut un peu moins bonne que la première fois, peut-être par manque de pluie, qui sait, cela ne dépend pas de nous.
A plus de 50 ans, je suis aujourd’hui grand-père, mes premiers enfants sont partis créer leurs foyers, plus loin, dans la forêt. Pour moi, je continuerai tant que je pourrai, à cultiver avec ma femme ces champs que j’ai ouverts autour de ma maison. Mais la récolte est devenu maigre, des plantes envoyées par on ne sait qui, on ne sait d’où, ont envahies mes champs et mes jachères. Les hauts de colline sont devenus des savanes à Ndongo (Imperata cylindrica), des herbes qui brûlent chaque année et où on ne peut plus cultiver. Sur les bas de pente, ça va encore, mais quel labeur pour couper l’arbuste BaraBokassa (Chromolaena odorata) ! Et pas moyen d’en faire du charbon pour gagner un peu d’argent.
C’est à cette époque-là que des chercheurs nous sont tombés du ciel, ou plutôt sont descendus de leur avion, puis de leur grosse voiture.
Ils nous ont parlé de la RNA, nous ont montré un livre et nous ont dit qu’on pouvait le trouver en français, en lingala et en swahili sur un site, si on avait un smartphone ou un ordinateur.
Je n’ai rien de tout cela et je ne parle pas les langues du Zaïre (pardon, du Congo démocratique), mais je vous indique ce qu’ils appellent le lien, même si je ne pense pas qu’on puisse attacher une chèvre avec cette corde là :
http://makala.cirad.fr/index.php/projets/media/media_makala/les_produits/guides_pratiques/gp_rna_vf
Donc, d’après ce livre (je copie un peu leur « français savant »), la Régénération Naturelle Assistée (RNA) consiste à conserver, pendant la période de culture agricole, quelques semis, drageons (les petits arbres qui poussent sur les racines) ou rejets (ceux qui poussent sur les souches des arbres) des espèces forestières locales préexistantes. Il faut ensuite favoriser leur croissance par des pratiques de sarclage sélectifs, d’éclaircie et d’élagage. Il s’agit d’espèces et d’individus dont nous, les agriculteurs, avons estimé qu’ils ne seraient pas trop gênants pour les cultures vivrières, puis qui pourraient nous être utiles, soit pendant la période suivante de jachère (amélioration de la fertilité du sol, production de chenilles, de médicaments traditionnels, abri de ruches, etc.), soit à la fin ce cette période pour produire du bois-énergie, du charbon de bois ou du petit bois d’œuvre, soit, enfin, dans le cadre d’une association agroforestière pérenne.
Pour faciliter la protection des plants à conserver, on les repère en plantant un grand piquet, qu’on peut peindre à la peinture (s’il nous en reste ou… si un projet la paye !) ou, moins cher, avec un bout de vieux chiffon coloré.
Légende photos : Dans le village d’Imbu, Plateau Batéké, en RD Congo, à gauche, dans un champ ouvert depuis 6 mois, après récolte du maïs, sélection d’un jeune semis de bois-noir (Wengé) a l’aide d’un piquet (en 2010) ; au milieu, dans le même champ, après récolte du manioc, un Albizia d’un an (en 2011) ; et à droite, un autre arbre âgé de 4 ans dans la jachère, en 2014.Une co-réalisation villageois-projet UE-Makala.
Donc, après que les chercheurs nous aient expliqué tout cela, et surtout après qu’ils aient travaillé avec nous sur le terrain, dans mon village de Botéké et chez mes voisins de Salanga, nous avons pratiqué la RNA, dans 24 champs d’environ un demi-ha. Après la première sélection des arbres par RNA, nous avons récolté les cultures qui avaient déjà été installées (manioc, maïs, taro, etc.), progressivement, pendant environ deux ans. Ces récoltes périodiques se sont accompagné de nouveaux sarclages. A cette occasion, nous avons éclaircis les rejets et élagué les branches basses des arbres, gênantes pour les cultures, ou qui piquent la peau ; nous avons également sélectionné d’autres jeunes arbres. Après la récolte finale du manioc, les ligneux conservés et/ou spontanés se sont développés rapidement. Et j’ai constaté que, par leur ombrage, ils avaient bloqué le développement des herbes et arbustes invasifs dont je vous ai déjà parlé. Après cette période de jachère « enrichie », la plupart des agriculteurs disent qu’ils remettront en culture les parcelles, après avoir récolté une partie du bois, mais tout en conservant les arbres les plus utiles. Ensuite, j’espère qu’ils continueront à pratiquer à nouveau la RNA.
D’après les chercheurs cette activité permettra d’augmenter le volume de bois disponible dans les futures jachères forestières et donc à terme de valoriser un volume de bois plus important sur une période de jachère équivalente, du moins d’après les résultats précoces des premiers travaux conduits en RD Congo sur le plateau Batéké.
Pour ceux qui parlent français, voici un autre lien pour avoir des précisions sur tout cela :
http://makala.cirad.fr/index.php/projets/media/media_makala/l_animation/conference_makala_presentation_ppt/la_regeneration_naturelle_assistee_r_peltier
Et pour ceux qui parle anglais, un « link » (probablement un lien en plastique du Nigeria) :
http://bft.cirad.fr/cd/BFT_321_67-79.pdf
Grâce à toute ces explications et à ces lectures, je suis devenu un fervent supporteur de la RNA que j’ai appliqué avec passion dans mon propre champ. J’ai par ailleurs encouragé « mes » villageois à suivre mon exemple. Il faut dire que chez nous, chaque clan possède ses propres terres et que les agriculteurs peuvent enrichir celles-ci en arbres sans problème. Par contre, les étrangers au village qui nous louent des terres pour les défricher et les cultiver, ne peuvent pas gérer les arbres pour eux-mêmes, car le terrain sera rendu au clan après la location.
Pour mon cas personnel, et contrairement aux autres agriculteurs, je ne souhaite pas abattre à nouveau la jachère où j’ai pratiqué la RNA. J’ai le rêve d’y construire un véritable jardin agroforestier dans lequel il y aura des palmiers à huile, des arbres fruitiers (mandariniers, avocatiers, papayers, etc.) et forestiers, des lianes utiles qui monteront à l’assaut des arbres (poivre de Guinée (Piper guineense), rotin (pour fabriquer mes fauteuils), etc.) et des cultures en mélange (bananiers, manioc, taro, ignames, courges, maïs, sorgho, etc.) qui seront renouvelées au fur-et-à-mesure des récoltes. Je souhaiterais également y planter des espèces forestières locales disparues de la zone, comme des Khaya anthotheca (acajou dont j’utilise l’écorce pour fabriquer le vin de palme : j’en ai acheté plusieurs pieds à Bangui à 750 FCFA l’unité).
Enfin, même si cela ne fait pas trop plaisir à mes amis chercheurs, je veux « enrichir » mon agroforêt avec des espèces exotiques productrices de bois d’œuvre, ayant une croissance rapide, comme des tecks (Tectona grandis), des Gmelina arborea et des Swietenia mahogani, que j’ai observées dans les plantations de l’Etat (après tout, c’est moi qui décide ce que je veux accueillir dans mon jardin et dans ma maison, local ou étranger !).
Quand, devenu trop vieux, je ne pourrai plus cultiver ma parcelle, je veux en faire une « réserve » où je pourrai récolter des chenilles commestibles (en particulier sur l’Essessang et les Albizia), des feuilles de la liane Gnetum africanum (Koko : dont la feuille est délicieuse avec un peu de viande de cabri), du bon bois de feu (comme vous avez compris que j’aime bien manger, je veux utiliser des bois qui donnent un bon goût aux aliments, comme le Bourounda (Celtis tessmanii).
Mais je vous avoue que j’ai peur que les feux de brousse, allumés par les chasseurs, les récolteurs de miel, les enfants qui jouent avec les allumettes dont ils font des pétards, ne viennent détruire tous mes arbres. J’ai demandé au projet PDRSO de nous aider à faire des pare-feu de 5 m de large autour des parcelles de RNA (environ 25.000 FCFA par parcelle d’un demi-ha ; ces pare-feu pourraient être réalisés en travaux collectifs traditionnels « Kpan té Kpan : Main dans la Main »). A partir de ces pare-feu débarrassés de toute biomasse combustible, chaque agriculteur peut allumer un contre-feu, en cas de feu de brousse incontrôlable, comme il en passe tous les dix ans. Quand il y a un projet, il faut toujours demander un peu d’aide, pour que les autres ne mangent pas tout ; mais j’attends toujours l’argent, je crois qu’il me faudra finalement le sortir de ma poche, hélas, ou cultiver de l’arachide sur les pare-feu !
En tous cas, pour l’instant, cette technique de RNA me semble bougrement intéressante, je vais la recommander à tous mes administrés et à mes connaissances, et même à vous les jeunes qui lirez cette chronique, et qui, parait-il, vous promenez sur le réseau internet, comme moi sur le réseau de rivières qui entourent notre terroir villageois. En plaisantant, comme j’aime bien, je dis à mon jeune ami chercheur centrafricain que vous, au moins, vous ne risquez pas d’attraper la maladie du sommeil ou d’être renversé par un hippopotame, avant d’être avalé par un crocodile ! Il rit et me met en garde, en me disant que les maladies et les individus mal intentionnées qui se promènent sur ces réseaux électroniques, sont plus à craindre que ceux que je connais sur mes réseaux aquatiques : comprenne qui pourra…
Mais avant de vous abandonner à vos promenades dans votre brousse informatique, je dois vous dire que ce qui me gêne le plus, dans cette histoire de RNA, c’est ce nom imprononçable dans nos langues africaines. Avec mes villageois volontaires pour pratiquer cette technique, nous avons inventé un acronyme basé sur notre langue véhiculaire locale, nous avons choisi la langue Sango, que les différentes ethnies utilisent pour se comprendre sur les marchés, ou ailleurs.
- le mot « Régénération » a été traduit par « Siguindo ti Kéké »,
- « Naturelle », par « Lonvéni na Bétilo »,
- « Assistée » par « I mou Maboko na lo ».
Et finalement, l’acronyme SKBM (prononcer Skabem) a été choisi. L’avenir nous dira s’il est retenu par la population centrafricaine, et pourquoi pas mondiale puisque c’est nous qui vous montrons la route !
Légende photos : Essessang (Ricinodendron heudelotii, arbre à chenille) conservé par RNA sur le territoire du village de Botéké, âgé de 6 mois (Photo de gauche) et de 14 mois (Photo du milieu) et en plantation de 10 ans à Mbaïki-ISDR (Photo de droite). Toutes les photos de ce document ont été prises par R. Peltier.
Remerciements : Les auteurs remercient le projet AFD-FFEM-PDRSO qui a assuré le financement de la mission de décembre 2019 ayant, entre autres, permis de recueillir ces témoignages, ainsi que Emilien Dubiez et Laurent Gazull du Cirad, UR Forêts et Sociétés et Michel Gally de FRMi, ayant participé à la mission et/ou contribué à la diffusion de la méthode RNA, dans le cadre de ce projet.